Interview d'Alexandre Malsch

Cette semaine, Alexandre Malsh, ex fondateur et CEO de Melty et CEO de Fulllife, a accepté de me rencontrer et de partager ses réflexions visionnaires à propos des licences, des plateformes, des bundles et de la consommation de contenu.

Mediavoice adrien@kessel
6 min ⋅ 12/07/2022

Comment émerge l’idée de créer Melty en 2007 ?

Alexandre Malsch : Avant Melty, j'avais construit Planetados une sorte de fourre-tout de modules PHP, forum, site d’actu. Puis je me suis aperçu que je créais moins de valeur sur les communautés que sur le contenu, j’ai crée Actuados qui est devenu Melty. A l’origine, un constat simple : l’actualité destinée aux jeunes était à ce moment-là extrêmement fragmentée. Il n’y avait pas de médias consacrés aux jeux vidéo, séries, films, à Zach Efron, Justin Bieber ou aux licences comme High School Musical ou Twighlight et qui traitaient de ces sujets comme de sujets nobles. Melty les mettait à la une tandis que dans les médias traditionnels régnait vis à vis de ces phénomènes un même regard condescendant. Je me souviens de l’émeute qui avait accueilli l’arrivée de Justin Bieber en France chez Universal, que nous avions traitée comme un vrai évènement. Et nous étions les seuls à l’époque. Aujourd’hui, ce n’est le plus cas. Melty ne devrait plus être simplement un site pour jeune, mais un leader du divertissement. Grâce à l'equity construite toutes ces années autour de la marque, mais surtout grâce au fossé entre les générations qui a été comblé. L’entertainment est devenu global, massif et multi-générationnel. Les adultes d'aujourd'hui n'ont pas abandonné leurs goûts et passions d’adolescents.

Quel est le regard que tu portes sur la manière qu’ont les médias traditionnels d’aborder l’arrivée des plateformes?

Alexandre Malsch :Certaines chaînes de télés n’ont pas compris la teneur de la révolution économique qui est en train d’advenir. Car c’est avant tout un problème de moyens, d’investissement dans le contenu et de tech. Les plateformes ont apporté des contenus de fiction fabriqués via un financement mondial. Aujourd’hui, à la télé, outre les événements sportifs majeurs, les derniers grands shows qui plaisent, ce sont les gros divertissements qui créent encore l'événement "en live" et rassemblent : Koh Lanta ou The Voice par exemple. Et si tu fais Koh Lanta juste pour la France, tu ne pourras plus à terme rentrer en compétition avec les mêmes shows d’envergure internationale qui finiront par être développés et poussés massivement par les plateformes, comme ils l'ont déjà fait avec les séries puis les films. Ce qui va être intéressant c’est comment les chaînes de télévision vont se positionner quand les plateformes vont s’emparer de ces formats.

Que penses-tu du développement des grosses licences de jeux vidéos pour l’audiovisuel?

Alexandre Malsch : Il y a eu pas mal de ratés en termes d’adaptations jeux vidéos pour le ciné donc ça a refroidi l’écosystème. Mais actuellement, il y a des choses hyper intéressantes qui émergent : The Witcher, sur Netflix, Halo sur Paramount +. Et Arcane (League of Legends) sur Netflix, fait par des français. C’est un chef d’œuvre d’animation. Le champ narratif est déjà d’une grande profondeur. Et pourtant, ce qu’on voit ne représente même pas 1/10 de l’univers, façon seigneur des anneaux . Je rêverais justement qu’ils partent d’un tout autre lieu pour la saison 2, afin de continuer à construire le background de la série en puisant dans la richesse de Runeterra, plutôt que de simplement se focus sur l'intrigue en cours.

Pourrait-on avoir un modèle fondé uniquement sur une licence de multiverse type Marvel ou Star Wars qui mêlerait séries et jeux vidéos?

Alexandre Malsch: Plusieurs marques se sont lancées et cassées les dents avec cette idée : mes comptes, mes serveurs, mes launchers etc… En jeux vidéos, il y a quelques géants multi plateforme : Steam PC, Gog, Epic Game store, Xbox (qui explose tout avec le game pass qui est un abonnement cross license). L’idée du bundle (abonnement illimité autour de plusieurs marques / licences) est l’idée la plus forte à explorer. On peut être fan hardcore d’un truc, mais on est aussi souvent fan de pleins d'autres sujets. Un service basé sur une seule licence ne peut pas marcher, ou il faudrait un contenu absolument massif pour parvenir à tenir la partie teasing, la nécessaire frustration, la création du désir et de l’envie. L’abondance de contenus que nécessiterait une plateforme dédiée à une licence ne fonctionne pas bien avec le culte qui naît de la rareté

Que penses-tu de l’abonnement vs l’achat ?

Alexandre Malsch: avec le gamepass de Microsoft par exemple, tu peux jouer en multiplateforme. Le prix du jeu n’est plus rentable versus six mois d’abonnement. Le principe de possession ne repose plus sur l’oeuvre numérique du jeu, mais plus sur ton personnage, ta progression, tes objets virtuels, tes skins. Je préfère ne rien posséder et être partout en multiplateforme. Je n’ai plus que cinq DVDs je crois : Dark Age of Camelot, Everquest 2 et deux ou trois boîtes du même style. Parce qu'à l'époque tu n'avais pas le choix. Maintenant c’est iconique, j'ai gardé les DVDs bien que je n'ai plus de lecteurs ! Depuis qu’il y a Steam, je ne passe que par des plateformes.

Que penses-tu du concept de bundle (l’abonnement à plusieurs marques)?

Alexandre Malsch: Canal a un gros coup à jouer là-dessus. Là je vais m’abonner à Paramount + , en plus des autres plateformes, ça va faire beaucoup. Je me suis même abonné à Apple TV pour We Crash. Dans le système actuel, on vit dans la frustration, dans le stress de se faire spoiler ou de rater un truc. Notre conso n’est pas sereine. Un des trucs que les plateformes ont réussi à faire d’ailleurs c’est un push de contenu global qui devient un évènement. L’arrivée d’une série sur Netflix est vécue globalement comme la sortie d’un film ou la programmation d’un grand match de foot. Alors même que ce n’est pas en live. En jouant sur la frustration, l’amplification, le massif. Pas forcément sur l’innovation d’ailleurs. Il suffit de regarder Obi Wan Kenobi. Mais bon, Star Wars, c’est 50 ans d’equity.

Est-ce qu’on est vraiment en train de vivre la fin du cinéma tel qu’on le connaît ?

Stars wars, Jurassic World… les histoires en mode "fan services only" sont en train de s’épuiser. Donc on va peut-être assister à un renouvellement. En termes d’innovation d’images, on est allé très loin, puis on est revenu de la 3D. C’est du côté du storytelling que peut venir l’innovation. Aujourd’hui, l’expérience cinéma mérite d’être interrogée: quand tu es obligé de rester dans la salle deux heures, tu ne peux pas aller aux toilettes, ni mettre pause, il y a 20 minutes de pub avant. Et après, on a un peu plus de 2 heures pour te créer un univers, des personnages. Quand je regarde des films grand public, à cause du rythme des séries auquel on s'habitue, j'ai vite l'impression que tout est survolé. Il y a bien moins de place que dans une bonne série avec une douzaine d'épisodes pour approfondir les personnages et l'intrigue. Par exemple le dernier James Bond est top, et pourtant je trouve que ça va trop vite. J’aimerais bien avoir une série James Bond. Le Seigneur des Anneaux j’ai lu tous les livres et j’ai pourtant qu’une hâte, c’est de pouvoir regarder quarante épisodes sur plusieurs saisons.

Mediavoice adrien@kessel

Par Adrien Labastire